Catégories
Actualités Communiqués

Cyberharcèlement : un tournant dans la responsabilisation des médias

C’est un rapport de l’Inspection du Travail qui marque un tournant dans la reconnaissance du préjudice psychologique et professionnel causé par le cyberharcèlement, dont deux tiers des femmes journalistes ont été victimes (selon IWMF). 

Son rapport accablant daté du 12 août 2022, dont font état Arrêt sur images et Médiacités, pointe la responsabilité du Petit Bulletin dans le déluge de haine qui s’est déversé sur son ex-employée, la journaliste Julie Hainaut. 

Pour la première fois, “la responsabilité indirecte” d’un média est reconnue dans le cyberharcèlement subi par une journaliste. L’inaction du journal lyonnais, durant les vagues de cyberharcèlement de néonazis visant sa salariée, peut être qualifiée de “faute inexcusable” selon l’Inspection du Travail. 

Depuis près de 5 ans, Julie Hainaut n’a jamais été soutenue, ni moralement, ni juridiquement, ni financièrement, ni médicalement, par son employeur. 

Le Petit Bulletin a manqué à toutes ses obligations légales. Pourtant, le code du travail est clair : l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires “pour assurer la sécurité et la santé mentale et physique de ses salariés”. 

En septembre 2017, suite à l’article de Julie Hainaut sur un bar dont les patrons vantent le colonialisme, le rédacteur en chef du Petit Bulletin, Sébastien Broquet, qui avait pourtant relu et fait valider l’article par l’avocat du média, s’est fendu d’un article désavouant en partie la journaliste. Quelques jours après cet article, le site néonazi Démocratie Participative avait écrit trois articles menaçant de mort et de viol la journaliste. L’inspection du travail estime que l’article de Sébastien Broquet était “complaisant avec les gérants (du bar) sur le fond (excuse les propos tenus sur la colonisation par les gérants et rapportés par Mme Hainaut). L’ambiguïté de l’article a pu entraîner un report des attaques portées sur Mme Hainaut.”

L’Inspection du travail liste six manquements graves du Petit Bulletin, et donc de son directeur de publication, Marc Renau, qui :

  • a manqué à son obligation d’évaluer les risques professionnels et de mettre en œuvre les mesures de prévention appropriées. Le Petit Bulletin ne détenait pas de DUERP – document unique d’évaluation des risques professionnels, pourtant obligatoire. 

  • aurait dû déclarer un accident du travail et orienter la journaliste vers un médecin du travail, ce qui n’a jamais été fait. D’ailleurs, l’entreprise n’a jamais adhéré ni cotisé pour sa salariée auprès du service de santé au travail. 

  • a manqué à son obligation d’assurer la santé physique et mentale de Julie Hainaut. Ni en amont, ni après la publication, aucune mesure n’a été prise pour limiter les conséquences du dommage sur l’état de santé de la salariée. 

  • a mis à l’écart Julie Hainaut, statutairement en CDI, en la remplaçant par une autre journaliste à la tête de sa rubrique

  • a effectué des déclarations contradictoires et “volontairement” erronées en prétendant n’ avoir pas été au courant de l’ampleur du cyberharcèlement. Des SMS échangés et une déclaration à la presse indiquent le contraire.

  • aurait pu soutenir juridiquement Julie Hainaut, en se portant par exemple partie civile. 

L’inspection du travail conclut à “la responsabilité importante [du Petit Bulletin] dans la dégradation de l’état de santé de Julie Hainaut”, qui a conduit à la reconnaissance de son inaptitude professionnelle, le 26 juillet 2022.  

Prenons la Une salue le courage de Julie Hainaut et continuera de soutenir les démarches pour faire reconnaître ses droits et ceux des journalistes victimes des cyber-harcèlement. 

Ce rapport de l’Inspection du Travail est aussi un rappel à l’ordre pour tous les médias.

Prenons la une en appelle aux rédacteurs et rédactrices en chef, et aux manageurs à divers niveaux, pour que le cyberharcèlement soit, enfin, pris au sérieux. Les rédactions doivent se montrer plus solidaires de leurs journalistes en rédaction et pigistes exposé.es au cyber-harcèlement, qui devrait être appréhendé comme « un accident du travail », comme nous le réclamons depuis quatre ans (voir notre tribune). 

Prenons la Une, le 30 août 2022

prenonslaune@gmail.com