Prenons la Une est signataire de la tribune des six associations de journalistes dénonçant le règlement discriminatoire envers les journalistes voilées et les journalistes transgenres de la commission qui attribue la carte de presse (CCIJP), publiée dans le club de Mediapart.
Nous, l’Association des journalistes antiracistes et racisé·es (AJAR), l’Association des journalistes LGBTQIA+ (AJL), Prenons la Une (PLU), Profession : Pigiste, la Chance et l’association des Femmes journalistes de sport (FJS) dénonçons les discriminations inacceptables que subissent des journalistes voilées et transgenres dans l’obtention de leur carte de presse.
Selon nos informations, au moins quatre journalistes se sont vues refuser la carte de presse parce qu’elles portent un voile sur la photo soumise à la Commission de la carte de presse des journalistes professionnels (CCIJP). Certaines ont fait le choix douloureux de se dévoiler pour l’obtenir, d’autres ne l’ont pas depuis plusieurs années. L’une d’entre elles a fait appel de la décision et nous la soutenons dans ses démarches pour obtenir justice.
Au moins une personne trans s’est aussi vue contrainte d’inscrire son nom de naissance à l’arrière de la carte et d’enregistrer son prénom actuel comme « pseudo ».
Pourtant ces journalistes salarié·es remplissent toutes les conditions pour l’obtenir.
Le prétexte invoqué par la CCIJP est que la photo de la carte de presse devrait être conforme à une photo d’identité – une règle à géométrie variable. Avec quelques simples recherches sur X, nous avons rassemblé une quarantaine d’exemples de cartes de presse dont la photo ne répondait pas aux exigences de la photo d’identité (lunettes, photo de profil, sourire, fond non uni…).
La carte de presse est un document précieux, une reconnaissance du statut de journaliste professionnel·le et un outil de travail indispensable sur le terrain. Ces discriminations racistes, sexistes, transphobes et islamophobes sont inacceptables et doivent cesser.
La CCIJP répond systématiquement aux journalistes voilées sur leur photo que cette dernière n’est pas conforme, et refuse d’accéder à leur demande, alors qu’elles gardent leur voile sur le terrain et dans leurs rédactions. Selon un compte rendu de réunion que nous avons pu consulter, la CCIJP le justifie en affirmant que la commission est « assimilée à l’État » répondant aux mêmes « exigences de neutralité » alors qu’elle défend dans le même temps son indépendance par rapport à l’État avec force. Ainsi les membres de la commission écrivent le 23 janvier 2024 : « la carte professionnelle des journalistes n’est délivrée ni par un employeur, ni par un syndicat, encore moins par l’Etat. » L’invocation opportuniste de cette soi-disant règle ne nous trompe pas sur son caractère islamophobe.
Cette même règle a été invoquée pour forcer au moins une personne transgenre n’ayant pas changé son prénom à l’état civil à faire figurer son prénom de naissance au dos de la carte, alors qu’elle ne l’utilise plus dans le cadre professionnel. Or, la défenseure des droits demandait en juin 2020 aux organismes de tout type de faciliter ces procédures et permettre ces changements de prénoms sans obligation d’uniformité avec l’état civil.
Ces entraves sont d’autant plus dangereuses qu’elles exposent les journalistes voilées et trans à des discriminations, voire à des violences. Sur le terrain comme auprès de nos interlocuteur·ices, ce document professionnel permet de nous identifier et d’accéder à des évènements officiels. La violence symbolique qu’on impose aux journalistes voilées, obligées de présenter une carte où elles sont dévoilées, est sans borne. Par ailleurs, dans des contextes tendus comme les manifestations, les forces de l’ordre peuvent douter qu’il s’agit de la même personne — dévoilée sur la carte, voilée sur le terrain. Les journalistes trans peuvent quant à elles et eux voir leur transidentité révélée contre leur gré.
Selon l’accord collectif du 7 novembre 2008 relatif aux journalistes rémunérés à la pige, la détention de la carte est la base du calcul de l’ancienneté pour les pigistes, causant d’importantes pertes de salaire pour les travailleuses voilées lésées.
Nos six associations rappellent à la CCIJP que la carte de presse n’est pas un document officiel d’identité, c’est une carte professionnelle. L’excès de zèle de la CCIJP pour apparenter notre carte à un document d’identité est discriminatoire.
Disposer d’une carte de presse à son image ne devrait pas être un privilège. C’est un droit dont le ou la journaliste bénéficie à partir du moment où il ou elle réunit toutes les conditions pour l’obtenir.
Nos demandes sont simples : que la carte de presse soit accordée aux journalistes voilées sur leur photo, qui pratiquent leur métier au même titre que leurs confrères et consœurs. Que les journalistes trans puissent changer leur prénom sur simple déclaration, sans faire figurer leur prénom de naissance. Surtout, que ces discriminations cessent et que la carte de presse soit enfin à l’image de notre profession. Un petit pas pour la CCIJP, un grand pas pour une profession plus inclusive.